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Ecrivain Public
et Biographe

Un entretien
avec Marie-Christine INGIGLIARDI

Écrivain public :
"Nom masculin bien que souvent féminin… Sorte de porte-plume doté d’oreilles bienveillantes et attentives, utile lorsqu’on trouve les mots pour le dire mais pas ceux pour l’écrire. Domaines d’intervention : de la lettre de motivation au roman, du recours administratif au poème, du rapport de stage à la lettre d’amour, du mémoire aux Mémoires…"
Telle est la définition que Marie-Christine INGIGLIARDI, écrivain public et biographe à Sisteron, donne de son métier. Un métier qu'elle évoque ici pour les lecteurs de Filigranes…

Cet entretien est paru dans
Filigranes n°54,
"Je soussigné(e)" Décembre 2002 

   

Filigranes : En quoi consiste votre travail d’écrivain public et biographe ? Quelles sont vos différentes activités et qui sont vos clients ?

Marie-Christine INGIGLIARDI : Tout d’abord, si je dis "Écrivain public"quand on me demande ce que je fais dans la vie, il faut bien reconnaître que ce n’est pas ce qui me fait vivre. Pour le bulletin de paye, j’ai d’autres activités qui tournent toutes autour de l’écriture (alphabétisation, soutien scolaire, communication…) mais ont en commun d’être décemment rémunératrices. Ce n’est pas le cas d’une grande partie de mon activité "écrivain public". Normal : vous vous voyez demander des sous à un quinquagénaire à qui on a sucré le RMI ?
À une femme qui essaie de se faire payer la pension alimentaire de ses gamins ? Un saisonnier qui n’a pas reçu sa paye ? Il m’arrive de dire à un client qu’il me paiera quand le problème sera résolu, sachant qu’il ne le fera peut-être pas… Bref, cet aspect-là de l’écrivain public c’est, en quelque sorte, un service social. Un service que tout État devrait offrir aux citoyens qui en ont besoin, ne serait-ce que pour reconnaître ses lacunes en matière d’éducation nationale. Pourquoi, en effet, dans un pays dit développé, tant de gens se sentent-ils désarmés devant une page blanche ? Pourquoi ceux qui maîtrisent correctement leur langue à l’écrit, sont-ils déboussolés dès qu’il s’agit de s’adresser à l’administration, à la justice, à un employeur potentiel ? Quelle(s) que soi(en)t la/les réponse(s) la question se pose.
Or, dans mon département, le seul organisme social qui ait jugé utile de prendre en charge ce service est la mutuelle qui m’emploie pour sa communication (elle offre gratuitement à ses adhérents un service "écrivain public"que j’assume et pour lequel elle me rémunère). Les mairies, les centres sociaux, les M.J.C. préfèrent, quand ils le mettent en place, confier ce service à des emplois "aidés"qui ne leur coûtent rien. La compétence et la bonne volonté de ces salariés pas chers ne sont pas en cause. Mais ça en dit long sur l’investissement des communes…  

 

Aux origines de mon activité

Filigranes : Comment en êtes-vous venue à choisir ce métier ?

Mrie-Christine Ingigliardi : Mon premier boulot consistait à "rewriter"des retranscriptions de traductions simultanées pour les actes d’un congrès international de coopératives de toutes sortes (ouvrières, agricoles, strictement féminines…) en 71. Puis j’ai été embauchée par une banque pour créer un mensuel de vulgarisation juridique. Ma maîtrise de droit me servait à décoder les textes de loi, mon goût de l’écriture à les traduire en français. Je répondais aussi au courrier des lecteurs (le vrai, celui auquel on répond, pas celui qu’on publie !), des problèmes de voisinage, de divorce, d’adultère, de gamins qui font des bêtises… des tranches de vie. J’ai eu envie de continuer. Mais pas dans ce contexte et puis c’était pas mûr. Au long de mes diverses expériences (notamment de création d’une entreprise de micro-édition libérale), je remarquai peu à peu une facilité et un plaisir à prêter ma plume aux autres. Je pense qu’il est possible de vivre de ce métier mais pas comme j’aime le faire : je n’ai pas envie, pour l’exercer, d’être soumise à des impératifs de rentabilité. C’est pour cela que j’ai d’autres activités. Mon travail d’écrivain public, il m’arrive de l’échanger : une lettre contre des fromages de chèvre, un curriculum vitae contre un pain fait maison, le dossier de promotion d’un coiffeur contre une coupe de cheveux… ! Ou de le faire gratos. Mais, qu’il me rapporte ou non, je crois que, pour ce boulot-là, je ne prendrai jamais ma retraite !

Filigranes : Avez-vous déjà refusé d’effectuer certains travaux ? Pour quelles raisons ?

Marie-Christine Ingigliardi : Oui. Essentiellement pour des raisons politiques. On m’a ainsi un jour demandé, lors d’une campagne électorale, de corriger, mettre en forme et en pages une profession de foi. Je l’avais déjà fait pour des candidats qui n’étaient pas les miens (instructif exercice de tolérance). Mais faut pas pousser : un candidat fasciste, pour tout l’or du monde, je l’aiderais pas ! 

Filigranes : Comment gérez-vous le fait de devoir être convaincante pour quelqu’un dont vous ne partagez pas les idées ?

Marie-Christine Ingigliardi : J’avoue que pour aider quelqu’un à être convaincant, et particulièrement dans le cadre d’une campagne électorale, il me faut tout de même être un peu en accord avec ses idées. J’étais, par exemple, bien contente qu’un candidat RPR me demande de taper sa profession de foi sans y changer une virgule : le contenu me faisait bondir mais au moins, je n’y étais pour rien ! Je me suis plus investie par exemple avec des communistes dont les idées ne me paraissaient pas idiotes mais qui s’y prenaient comme des manches pour les faire passer (trop long, trop langue de bois, trop dénué d’humour…). De toute façon, ce type de boulot, aucun politique ne m’en a plus confié depuis que je me suis moi-même présentée à des élections : sans doute craignaient-ils que mes convictions politiques prennent le pas sur mes compétences professionnelles. Ils avaient tort : je crois très sincèrement que j’y aurai apporté le même soin… avec, néanmoins, les restrictions indiquées au plus haut.

 

Je est un autre

Filigranes : Qu’attendent de vous les personnes qui vous sollicitent pour la (co)réalisation d’une biographie ?

Marie-Christine Ingigliardi : Il y a la demande exprimée (une correction grammaticale et orthographique, un avis professionnel, une mise en forme ou en pages…) et, au-delà, une attente plus rarement dite de reconnaissance, une interrogation sur le bien-fondé de cette démarche qui les a poussés à écrire, des fois sur leur vie même, sur l’amour, l’amitié… Et surtout d’écoute !

Filigranes : …et cette écoute légitime la démarche du client ?

Marie-Christine Ingigliardi : Sans doute. J’ai un jour rendu visite, sur sa demande (elle ne conduisait pas) à une femme à peine plus âgée que moi. Dans sa petite maison pimpante, il n’y avait pas un livre. Trois mois plus tard, il y en avait mille. Mille exemplaires, livrés par l’imprimeur, de la même histoire : la sienne. Sa vie de courageuse petite bonne femme sans histoire, généreuse, romantico-naïve, un peu victime. Après avoir admis qu’aucun éditeur ne la prendrait sous son aile, elle s’est inscrite à des journées/foire/fêtes du livre et, toujours sans voiture, est allée, avec son pliant et sa table de camping, tenir des stands où elle dédicaçait son livre à des femmes comme elle. Je n’ai pas fait de son livre un chef-d’œuvre mais l’accouchement de son œuvre, les échanges dont elle a été l’occasion, ont changé sa vie. Et ça lui a coûté beaucoup moins cher qu’une psychanalyse !

Filigranes : Quels sont les engagements minimaux que vous prenez auprès de vos clients ?

M-C. Ingigliardi : Lire le texte, donner mon avis, proposer un devis pour un travail de réécriture que j’explique, livrer ce travail dans les délais impartis. Je peux également me charger de la mise en page et du suivi d’impression.

 

Écrire, lire

Filigranes : Pourriez-vous décrire votre activité de lectrice : nommer la façon dont elle se manifeste ?

Marie-Christine Ingigliardi : Un crayon à la main… ce que je fais souvent aussi quand je lis pour moi, quand un passage me plaît, quand me vient l’idée de le passer à quelqu’un pour lui donner envie de lire le livre. Là, tout de même, c’est différent : je bosse ! Je dois quelque chose à quelqu’un. Et d’abord lire son texte en me dédoublant. Comme c’est difficile, je le lis deux fois : une comme un lecteur ordinaire, à l’affectif, j’aime ou j’aime pas ; une en professionnelle, en repérant où ça cloche, où il faudrait raccourcir, développer… Même quand on me confie le boulot sur disquette, je fais toujours une première lecture sur papier, comme un "vrai"livre. 

Filigranes : Après le travail de réécriture, pouvez-vous encore distinguer ce qui émane de vous de ce qui émane de votre client ?

Marie-Christine Ingigliardi : J’ai beau savoir où je suis intervenue, il m’arrive, à la relecture, de ne pas m’en souvenir. Il est vrai qu’harmoniser le texte est un de mes principaux soucis. Mes activités militantes m’ont beaucoup appris dans ce domaine : rédiger un tract lisible et attrayant en tenant compte des apports "incontournables"de dix personnes différentes est une excellente école ! 

Filigranes : Pouvez-vous préciser en quoi consiste ce travail d’harmonisation ?

Marie-Christine Ingigliardi : Je crois que j’aurais beaucoup de mal à travailler pour quelqu’un que je n’ai pas concrètement rencontré. Il faut qu’il y ait un échange, que le courant passe. Que je sente qui est cette personne. Cette "connaissance", très relative, j’en conviens, m’est indispensable pour "l’harmonisation". Un travail que j’apparenterais à une traduction.
À la lecture d’un manuscrit, des mots me viennent, j’ai envie de déplacer, d’enrichir, de rayer… Mais ce n’est pas mon histoire, c’est la sienne. Alors je traduis, du mieux que je peux, ce qu’il me semble bon d’écrire, dans sa langue à lui. … ou dans celle de celui auquel il souhaite s’adresser : sécurité sociale, juge, employeur potentiel, (ex)-amant(e), propriétaire, prof… Il m’arrive ainsi d’écrire pour des gens qui, en principe, vu leur niveau culturel, n’ont pas de problème d’expression. Mais ce sont des spécialistes et, quand ils ont conscience de leur tendance à jargonner technique, ils me demandent une traduction en langage courant ! Il y a un risque, c’est sûr. Un risque pointé chez nous par le dicton : "traduttore = traditore", qui peut se traduire, la finesse du jeu de mot italien en moins, par : "traducteur = traître !"

 

La question du style

Filigranes : Justement, comment ne pas trahir la personnalité de celui qui raconte sa vie ?

Marie-Christine Ingigliardi :J’ai remarqué que beaucoup de gens qui souhaitent se lancer dans l’écriture n’osent pas sortir d’un style convenu hérité de kilos de devoirs de français piteusement récupérés ornés d’une note au-dessous de la moyenne et de méprisantes annotations rouges : "Puéril !", "Inutile !", "Incorrect !", "Mal dit !", "Vous êtes décidément nul en orthographe !"... (moi, l’annotation préférée de mes profs, c’était "trop journalistique !"). Résultat : on n’utilise plus que les mots et les formules dont on est sûr, de peur de se tromper. D’ailleurs, la première demande qui m’est souvent faite quand on m’apporte une biographie, c’est "Corrigez les fautes… Parce que vous savez, l’orthographe et moi…" Il faut donc arriver à dépasser – un peu - ce blocage, inciter à laisser aller les mots… Pour cela, je m’efforce de repérer les passages (il y en a toujours au moins un) où l’auteur s’est "lâché", s’est exprimé avec ses mots à lui. Je lui demande s’il a conscience de la différence de ton entre ce passage et les autres, ce qu’il en pense et j’essaie de dérouler le fil à partir de là.  

 

Fiction et vérité

Filigranes : Quelle est la part de ce que les gens vous confient, par rapport à ce que vous êtes obligée d’imaginer pour donner de la cohérence au récit ?

Marie-Christine Ingigliardi : Je n’imagine pas. Je pose des questions. Je réalise une première frappe du document en corrigeant les erreurs grammaticales et orthographiques évidentes. Pour le reste, je signale en note les redondances, les incohérences, éventuellement une proposition alternative ou les manques auxquels je ne peux pas répondre.

Filigranes : Si votre client ne souhaite pas modifier sa version, respectez-vous son choix sans même un petit "pincement au cœur"?

Marie-Christine Ingigliardi : Je me rappelle d’un vieux monsieur qui voulait raconter sa Résistance, dans le maquis à 18 ans. J’ai plongé dans l’histoire avec passion. J’ai vite réalisé qu’à part deux ou trois anecdotes pittoresques, je n’avais pas là affaire à un héros ! Mais il enjolivait, histoire d’offrir à ses petits-enfants l’image d’un super grand-père ! Je lui ai fait remarquer quelques incohérences, quelques fanfaronnades, il a accepté certaines de mes propositions de modifications, d’autres pas… Ma foi… le contexte historique était respecté, c’était un peu Cocorico mais pas méchant, pas méprisant, pas raciste…
Allez, il avait bien le droit à de beaux souvenirs, le pépé, non ? Sauf si l’on prétend faire œuvre d’historien, on a le droit de mentir dans un livre. Et, quand on raconte sa vie, même si l’on est sincère, on ne la voit forcément pas sous le même angle que ceux qui l’ont un moment partagée. Je préviens néanmoins mes clients des incohérences, énormités et règles juridiques concernant le respect de la vie privée et la diffamation. Il m’est tout de même arrivé, je le reconnais, de me dire devant un client particulièrement entêté : "dans le fond, s’il y tient vraiment à ce passage mal foutu, c’est son bouquin, pas le mien !".

Filigranes : La nature du destinataire influe-t-elle sur la liberté d’expression ?

Marie-Christine Ingigliardi : Évidemment ! Quand une biographie n’est pas destinée à franchir les limites de la famille, il y a des clins d’œil, des allusions, un patrimoine commun… Mais aussi des non-dits, des évitements de sujets "qui fâchent". La parole est plus libre quand on a envie de publier "pour de vrai", même si ce doit être à compte et diffusion d’auteur. 

Filigranes : La biographie est-elle cosignée par votre client et vous ?

Marie-Christine Ingigliardi : Ce sont eux qui signent. Mais il leur arrive, quand ils publient un peu plus largement que dans le cercle familial, d’insérer à mon adresse, un mot de remerciement pour mes "conseils", ma "patience"… Je ne le sollicite jamais.

Filigranes : Comment vous positionnez-vous dans l’histoire que vous écrivez ? Impliquée ou en retrait ?

Marie-Christine Ingigliardi : Je n’existe pas en tant qu’auteur mais en tant que lecteur. En cela, je suis totalement impliquée.

 

Je, soussigné(e)

Filigranes : Estimez-vous que dans le travail d’écrivain public et biographe, ne pas signer signifie ne pas s’engager ?

Marie-Christine Ingigliardi : Ne pas signer, ce n’est pas "ne pas s’engager". C’est donner à l’autre la possibilité de le faire. Écrire, c’est déjà s’engager. Et ce n’est pas facile de s’engager. Je le fais sans trop de mal quand il s’agit de mes idées (reportage, écriture militante...). L’accouchement est plus difficile quand il s’agit de mes sentiments parce que j’ai le même souci de vérité et, si j’accepte que les autres "mentent"(c’est-à-dire laissent libre cours à leur subjectivité, j’ai du mal à me l’autoriser.

Filigranes : Pour beaucoup de personnes, le plaisir de signer son œuvre est essentiel : à vos propres yeux, quelles sont les grandes satisfactions que procurent votre métier ?

Marie-Christine Ingigliardi : Donner la parole aux gens. Les valoriser aussi. J’ai par exemple du plaisir à tirer un curriculum vitae alléchant d’un bref brouillon retraçant une pauvre carrière, sans mentir, rien qu’en faisant parler quelqu’un de ce qu’il aimerait faire, de sa relation au travail, des expériences qu’il n’a pas mentionnées parce qu’il les croyait sans importance. Quel bonheur quand quelqu’un relit la lettre que je viens d’écrire pour lui et lance "C’est exactement ce que je voulais dire !"

 

Interview réalisée pour Filigranes
par Marion Clavel et Michèle Monte

 

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Et quand il prend un "e" pour devenir publique ?
C’est du pareil au même, quasiment identique
Râleuse elle peut être, mais aussi angélique,
Inventive, pétillant’ et mêm’ parfois comique
Vidée, sans une idée, ou hyper prolifique !
Ah, voilà qu’aujourd’hui elle fait dans l’nostalgique !
Il pleut, elle est morose : rien que de très logique !
Ne vous affolez pas : question orthographique
Elle est, au moins pour ça, au-dessus des critiques !  
Petit palmarès d’un(e) écrivain(e) public/que :
Une ou deux difficiles obtentions RMIques,
Bien des curriculums un brin dithyrambiques
Lettres à un patron macho ou tyrannique
Informations techniques, régionales chroniques,
Quelques discrets recueils de couleur poétique,
Urgence pour un roman autobiographique…
Et puis l’amour, toujours, tragique ou idyllique !    

Marie-Christine Ingigliardi