Filigranes N°91
"Écriture,domaine public"
Novembre 2015

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Écriture, domaine public"

"Cela n'a pas de prix " vol 2 (2015)

 

«Le politique prend naissance dans l'espace-qui-est-entre-les-hommes, donc dans quelque chose de fondamentalement extérieur à l'homme.» Et l'écriture ?
Hannah Arendt (citée par Barbara Cassin)

 

 

 

Écriture, domaine public ? À peine énoncée, l'expression intrigue et fait débat.

À ma gauche, ceux qui évoqueront le caractère singulier de l'acte d'écrire, tant il est vrai que c'est bien sur fond de solitude — faut-il parler de retrait du monde ? — que nous créons, quand bien même sommes-nous entourés. Que c'est en nous — mais à quel niveau de profondeur ? — que surgissent les mots, qu'ils s'installent, parfois se dérobent.
Ce qui vit de langue en nous, enfouie, maternelle, au plus intime de notre être et de notre histoire, cette offrande nourricière de sens et de son — notre langue des origines — c'est à travers elle que nous donnons forme première à l'expérience.
Plus tard, quand vient le temps de l'École, quand nous nous ouvrons au monde, ici avec curiosité, ailleurs parfois avec le sentiment que violence nous est faite, d'autres langues nous arrivent. Lettres et langues du savoir, langue de la tribu, tout un éventail de mots entendus, parlés, portés, chuchotés, chantés, volés… incorporés toujours, tramés d'émotion, de bonheur, d'amour et de peine. De révolte aussi.
Telle est le terreau de notre vie et de nos écritures.

 

À ma droite, ceux qui rétorqueront que — si personnelle soit cette langue première — l'écriture, quand elle nous vient, nous projette dans d'autres espaces : sociaux, politiques, culturels. Ils rappellent qu'à travers l'Histoire, lire, écrire, gloser jamais ne fut réellement territoire partagé mais si souvent confisqué. Que scribes, clercs, marchands, chacun leur tour surent jouer de notre prétendue incapacité et ainsi asseoir leur propre pouvoir ou celui d'autrui.
Et même si l'École des Lumières fit du "lirécrire pour tous" son projet, en la matière, les plafonds de verre sont toujours là, les rapports de pouvoir tout autant et les formes d'exclusion légion. Les insurrections légitimes.

Ainsi, devenir citoyens dans la langue est et restera, pour eux comme pour nous, et pour longtemps encore, d'abord un horizon !

 

Mais nous voilà, dans ce numéro, aspirant à plus ! Qu'à l'instar de l'air, de l'eau, du ciel et de la mer, de nos si beaux nuages, l'écriture soit rien moins que bien public.

Qu'autour d'elle, nous sachions réunir au lieu de diviser ; partager au lieu d'exclure. Qu'écrire puisse s'inventer à l'abri du jugement, loin de toute revendication solitaire, héritage ou disposition.

Que créer soit offrande et non outil pour la sujétion. Que ces ponts que de texte en texte nous projetons vers les territoires de l'autre, soient invitation au voyage. Qu'ils sachent — par le fait même que nous sommes différents — nous réunir dans une commune culture humaine, aussi indéchiffrable puisse-t-elle parfois nous sembler.
Nous voilà revendiquant notre place à nous, notre goutte d'eau dans la forêt qui brûle. Des ateliers d'écriture que nous animons à la revue, notre fabrique ; des projets personnels à l'œuvre collective ; du travail solitaire à l'édition entre pairs, voilà quelques manières à nous de dimensionner un désir de fraternité. Notre dessein ? Opposer à ce qui tue un seul et unique projet, celui de faire société !

Nous voilà, nous souvenant que pour nous, auteurs, lecteurs, chaque numéro est un franchissement. De Toi à moi. De l'intime à l'extime. De l'expérience à sa mise en mots. Du singulier au collectif. De l'héritage à la pensée et à l'invention. Du sujet au "tout-monde". Un pas vers l'inconnu, heureux, le plus souvent. Inconfortable, parfois, mais toujours exigeant.

Nous voilà réaffirmant qu'habiter ainsi cette exigence nous hominise. Que créer solidairement raboute ces fragments de nous, le visage perdu de ceux que nous aimons. Qu'écrivant à notre tour, nous honorons la mémoire de celles et ceux qui, de cette écriture, surent nous transmettre le désir, le pari, et plus encore, à chaque fois renouvelé : le goût ! Comme un art, à réinventer sans cesse, mille et une manières de vivre ensemble.

Filigranes (MN) 21/XI/2015

Cet éditorial a été réécrit après les événements du 13 novembre 2015
en France et dans le monde.

 

 

 FILIGRANES Éditorial 3


PLACE PUBLIQUE

Régine CARNAROLI Je vengerai ma race
Christian CASTRY Reporter
Anne-Marie BERNAD L'insurrection poétique
Michèle MONTE Le manoir
Pierre MORENS Valeur et risque social
Anne-Marie SOUFFLET De la folie du monde
Jeannine ANZIANI Sous le cabanon
Teresa ASSUDE Aqua(r)elle, publiquement


CURSIVES


"Je marche pour savoir où je vais" (J.W.Goethe)
Un entretien avec Anne Laure Fink, plasticienne.
Un parcours en regard de quelques oeuvres, dans un monde
où dialoguent création et artisanat, où se cotoient végétal et minéral, où les mots ont leur place, juste leur place.

"La main et le papier"
Retour sur un entretien - Arlette ANAVE

 

SURRECTION


Patrick BEAUCAMP Juste pour voir
Agnes PETIT Filiation
Dominique HEBERT La pierre blanche du matin
Xavier LAINÉ Les mots, comme l'eau du puits
Jean-Jacques MAREDI Si cher à nos yeux
Stéphanie CERDEIRA Suis-je privée
Paul FENOULT Prélude de fugue

DE L'UN À L'AUTRE


Nicole DIGIER Descendre dans l'arène
Chantal BLANC Du voyage des créations
Marie-Noëlle HOPITAL Point de carrière
Anne-Marie SUIRE La poésie s'e-lustre
Arlette ANAVE On ne le dira pas à Facebook
Rabiaa MARMOUCH Une lettre
Natalie RASSON Lu sur un visage
Annie CHRISTAU Humanité

Graphismes Anne-Laure FINK
Couverture & Cursives & page

 

 

   

 

 

 

FILIGRANES  (filigran) n.m. (1673) du lat. "filigrana" fil à grain).Ouvrage fait de fils de métal (argent ou or),de fils de verre,entrelacés et soudés. Dessin qui apparaît en transparence dans certains papiers.

(Fig.) Lire en filigrane, entre les lignes, deviner ce qui n'est pas explicitement dit dans le texte.