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Edito
BELLES THEORIES ET PURES FICTIONS...
tissées au fil des éditoriaux de FILIGRANES
"L'écrivain n'est pas
celui qui sait écrire, mais celui à qui cela pose des problèmes."
Thomas
Mann
T...
comme Théorie
"La théorie, le travail théorique serait la façon qu'a le sujet de retarder le
retour de ce qui l'inquiète"
aurait dit Sigmund Freud, cité par Deleuze. Dilemmes... La théorie prise au jeu
de l'explicatif : volonté de maîtrise, donc volonté de pouvoir ? Ou bien la
théorie comme hypothèse, grille de lecture, pari qu'un sens naîtra du travail
d'un lecteur ? La théorie comme réassurance de soi (auteur et/ou lecteur) par la
présence du texte théorique, lisse, clos et pétri de certitudes, ou la théorie
comme lieu de recherche provisoire dans la langue, le temps d'un désir de savoir
?
H... comme
Hypothèse
Et si tout récit (qu'il soit
théorique ou de fiction) était de l'ordre d'une construction de savoirs ? Et si
tout texte était une hypothèse sur le monde : un énoncé conditionnel, un
rapport à la réalité construit dans les mots, dans la langue ?
Hypothèses pour un voyage
au centre du texte (Pièce en cinq actes)
Acte 1 : Où l'on éprouve comme un état de saisissement. Il y a nécessité
de partir, car on est cerné par le manque...
Acte 2 : Où l'on a peur du flou, de l'inconnu et de la vacuité du temps
perdu, mais il faut se qualifier...
Acte 3 : Où s'érige le code organisateur. Où s'affirme la construction du
sujet...
Acte 4 : Où l'on prend de la distance par rapport au voyage, car se pose
la question du sens...
Acte 5 : Où le voyage se donne à lire. Indéfiniment différable, reporté,
reproduit, parce qu'il a eu lieu et s'est produit comme texte.... (FILIGRANES
N°5 " Actes de voyage ")
E... comme Ecriture
Écrire une théorie qui ne
"colmate" pas : choix de l'écriture fragmentaire.
Écrire la théorie par fragments ; laisser ouvert l'espace inter fragmentaire
incitant le lecteur à la mise en relation. Suspendre le texte avant l'instant
crucial où prétextant découvrir l'objet, il le masque. Opposée à l'idée de
totalité, l'idée de dispositif d'accueil et d'assemblage de fragments : en
cercle, spirale, damier, arbre, chaîne, selon le numérique, l'alphabétique,
l'aléatoire, par taille croissante...
O... comme
Origines
Et d'abord des mots
lancés sans hasard : anamnèses, sous-jacences, mythes, genèses, nourritures,
références... L'hypothèse fut faite que tout texte possède / procède d'un
ombilic, qu'il est motivé. Un sens se dit, un sens se lit, nous lie, dans le
retour à contre sens, vers l'ombilic originel, adresse d'un indicible
destinataire premier. Mais ce supposé retour en arrière est comme un pas en
avant, car maintenant le texte existe. (FILIGRANES N°9 "L'ombilic du texte")
R... comme Réalité
Le point commun entre
théorie et fiction, serait leur caractère "d'invraisemblance", de non
réalité, de fictivité, opposé à la pratique. Théorie et
fiction : deux façons différentes de ne pas tenir compte de la réalité
tout en en parlant sans cesse, de ne pas se laisser enfermer dans une vision
trop étroite des choses, deux façons de contourner l'incontournable. Deux
grilles de lecture différentes pour dépasser l'enfermante immédiateté de la
réalité.
Si voir, c'est questionner le monde
sur ses apparences, écrire serait donner à lire une ambiguïté, une épaisseur,
une non transparence, qui sont les réponses mêmes du monde "avec sa part
d'obscurité irréductible." (Philippe Jaccottet)
Ecrire pour donner corps à d'autres savoirs. Ecrire pour se voir sous le masque
des mots. Découper le réel avec la langue, le faire advenir dans la langue, car,
semblable à l'oeil qui crée l'image regardée, le texte crée le monde qu'il
évoque [...] nous révèle ce que sans lui nous ne verrions pas. (FILIGRANES N°16
" Les yeux quand ils s'ouvrent")
I... comme
Interprétation
La lecture comme
interprétation créatrice.
Il fallait, pour une fois, renverser
les rôles.
- As-tu pensé qu'ils s'inversent sans arrêt dans la vie, mais que cette
inversion se fait à notre insu, autour du livre, dans cet espace intermédiaire
où transitent tous les sens possibles et d'autres encore, innommables sans
doute? Sens que ni scripteur ni lecteur ne maîtrisent totalement. As-tu pensé
que, lisant le livre, tu l'écris à ton tour, pour toi et en silence? Personne
n'en saura rien...
- Quand je lis, face au texte présent de l'autre, il y a mon texte absent.
Absent, il est là sous la cendre: tout a déjà été écrit, brûlé. (FILIGRANES N°6
"L'écriture du lecteur")
E... comme Espaces
Lieux lointains,
lieux passés réinventés, alternent dans le présent du texte. Même si tout texte,
lecteur, te propose une géographie et une histoire à explorer, le lieu du texte
sera celui de la non localité fondamentale: ici est tourné vers ailleurs, hier
adossé à demain.
FILIGRANES N°10 "Ailleurs et autres lieux"
Autrement dit, l'écriture serait un détour d'une intime durée dans nos royaumes
d'énigmes et d'innocence, où chacun pourrait lire son identité dans tout ce tu
qu'il porte en lui et qu'il cherche à se dérober à lui-même par écrit.
Alchimie souterraine, humaine tentation que d'écrire pour savoir, pour nommer
l'innommable. Et le texte ne garderait aucune trace apparente de ce combat entre
soi et soi ? (FILIGRANES N°15 " Terres secrètes")
F... comme Filigranes
Le thème, métaphore
productrice.
Le thème, qui permet de dépasser le thème et le texte, est un franchissement. Le
thème, c'est l'impossible consensus auquel nous aspirons, et où nos discours,
malgré tout, parviennent à se recouper. (FILIGRANES N°8 "Mémoire d'encres")
I... comme Imaginaire
L'histoire du corps
de l'autre implique aussi le nôtre. Nous travaillons contre le vent à écrire la
vie, quand morts et folies sont à dire. (FILIGRANES N°11 "Nourritures")
C... comme Complexité
"Pas de théorie sans
fiction" (Mannoni), donc inséparabilité, osmose,
éclairages réciproques de l'une à l'autre.
La théorie serait ce qui donne fondement et nécessité à la fiction. Et
inversement, la fiction offrirait une existence, "un être-là" à ce que sans elle
on ne pourrait appréhender. "Pas de fiction, sans théorie", même non
conscientisée, empirique...
Correspondre, n'est pas seulement
écrire, mais c'est aussi écrire. C'est risquer l'échange, entendre l'altérité.
C'est traduire le désir en signes, à la fois précaires et définitifs, lettre à
lettre, langue à langue. C'est (s')ouvrir sur l'Autre et lui signifier sa
présence à soi, en soi, en lui. (FILIGRANES N°12 "Correspondances")
T... comme
Traduction
Les textes comme
reconquête par chacun de ses propres territoires de langue, sur les marges de la
langue commune, normée, normalisée... Si TRADUIRE devait se penser comme
superposition de textes, ou calque de langues, nous plaiderions alors pour
l'écart, le reste, l'impossible gémellité. Je ne puis être le même que parce que
je suis autre. (FILIGRANES N°7 "Entre l'écrire et le traduire ")
I... comme
Intertexte
Ecrire pour expliquer,
raconter ou répondre à d'autres textes ? Ecrire pour entrer en dialogie.
"Le paradoxe est ici de la forme:
plus je crois aux héros, plus c'est en moi-même que je crois. Plus j'imite,
d'une imitation active, délibérée, construite [...], plus c'est moi-même, de
moi-même que je construis." Philippe Lacoue-Labarthe "L'imitation des modernes"
Chacun sentira, au chevet de son texte, la présence d'ombres, un pouvoir fluide
qui circule, une intertextualité à l'oeuvre. Des affinités se nouent, des
analogies se découvrent, une connivence s'instaure.(FILIGRANES N°14 "Z'auteurs
fétiches")
..... " Sur les pas du palimpseste ".
Explorer ce territoire de la transtextualité, en ce sens que chaque pratique
d'écriture est à sa manière lecture active de textes antérieurs qui la précèdent
et dont elle procède. (FILIGRANES N°4 "Mots de passe")
Fonction signal du mot de passe. Il est l'incipit qui ouvre sur le mythe. Il
installe des relations, fait sauter des verrous, évoque des frontières, des
ruptures, des intersections. Point de contact, il prétend que dans son contexte,
des choses peuvent se dire qui le précèdent et qui le suivent. Il réunit et
rassemble des fragments de sens épars qui, sans lui, seraient perdus, oubliés.
(FILIGRANES N°13)
O...comme Ordre
Fiction et théorie
postuleraient chacune à leur manière un ordre, une cohérence des choses.
Permanence des formes, des noms, des objets que l'on retrouve.
"Ecrire,
penser l'ordre du monde en usant de la langue. Recherche inscrite à jamais au
coeur des hommes. Obstiné devoir d'humanitude. Écriture toujours recommencée des
commencements, pour que s'engendre une suite, un devenir, une possible fin.
Ligne de démarcation entre ordre et désordre, entre visible et invisible,
advient le texte, surgit le sens, s'énonce un savoir toujours plus complexe sur
soi, sur le monde." (FILIGRANES N°17 " Écrits des commencements")
N...comme Nomination
"Le nom est le temps de
l'objet" (Lacan)
Théorie et fiction passeraient par les mots, par la nomination. Le discours
théorique et le discours fictif "parlent" l'objet assujetti à leurs découpages.
Odette et Michel NEUMAYER
Juin 1990 |
FILIGRANES (filigran) n.m. (1673) du lat.
"filigrana" fil à grain).Ouvrage fait de fils de métal (argent ou
or),de fils de verre,entrelacés et soudés. Dessin qui apparaît en
transparence dans certains papiers.
(Fig.) Lire en filigrane, entre les lignes, deviner ce qui n'est pas
explicitement dit dans le texte.
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